Les danseurs de la fin des temps (ici sur Amazon) est un cycle de science-fiction qui commence en 1972, c’est une trilogie qui raconte la dernière histoire de l’humanité alors que la Terre et l’univers sont sur le point de disparaître.
La société est pour le moins décadente, elle est en post- pénurie et tout le monde se nourrit de ses caprices. Les êtres humains sont tous nonchallents et indifférents, sauf que Jared Carnelian se retrouve obsédé par la notion de vertu et cet homme qui ne comprenait pas la moralité rencontre une certaine Emily Underwood qui sait tout à ce sujet.
L’histoire commence avec Iron Orchid et son fils qui vient de découvrir la vertu, mais aucun des deux n’en connaît la signification. C’est un artefact du passé. C’est bien montré lorsqu’on voit la mère et le fils s’accoupler. Leur puissance scientifique et leur vie royale font d’eux des sortes de dieux. C’est ainsi que l’histoire commence.
Jared apprécie l’esthétique du XIXe siècle, et dans ce monde, on peut à peu près tout se permettre. À un moment donné, on découvre que sa mère était autrefois son père, les identités et les genres y sont manifestement fluides.
L’histoire commence lorsque Jarek et sa mère sont conviés à une fête chez le Duc de Queen’s situé à l’emplacement de l’ancien quartier du Queens, à New York. C’est là qu’un alien annonce la fin imminente de l’univers, et qu’une voyageuse du temps du XIXe siècle fait irruption, désorientée et furieuse de l’accueil qui lui est réservé.
Jarek décide alors de faire de l’amour pour cette visiteuse du passé sa nouvelle obsession. La fin des temps approche par le biais d’un « Big Crunch », un concept que l’on retrouve dans Tau Zero de Paul Anderson : l’univers atteint un point d’expansion maximal avant de se contracter à nouveau, et revient à l’état précédant le Big Bang. Si cette théorie est largement délaissée aujourd’hui, elle était encore courante à l’époque.
Le récit comporte quelques voyages dans le temps qui illustrent avec justesse que connaître une langue ne suffit pas pour en maîtriser les idiomes ou les codes culturels. Le livre aborde aussi la sexualité avec une grande désinvolture, un peu comme le faisait Vance — c’est rafraîchissant, souvent amusant, et la fin opère un retour brilliant au premier chapitre.
Tome 1 : Une chaleur venue d’ailleurs (An Alien Heat) – 1972
Je n’avais pas hâte de lire cette série, mais j’ai été très agréablement surpris. Avec la série Corum, c’est un des Moorcock les plus marquants. Elle est pleine d’esprit, drôle et très captivante. La société de la Fin des Temps est régie uniquement par l’esthétique. La morale conventionnelle a disparu de manière effrayante dans une société où les humains ont des pouvoirs divins de vie et de résurrection, où la sculpture du corps est poussée à l’extrême, où les voyageurs temporels sont retenus, où la position du soleil et de la terre elle-même est modifiée (y compris la production de systèmes solaires miniatures juste pour recréer des batailles historiques en miniature), et où règnent des unions sexuelles désinvoltes et incestueuses.
La mode et la politesse sont les mœurs qui prévalent, comme il sied à une série influencée par les romans fin de siècle du XIXe siècle. Les sentiments sont affectés de manière comique — certaines personnes ont pour marque de fabrique émotionnelle la sévérité, la gravité et le désespoir. C’est un monde décadent, et le voyageur temporel Li Pao ne manque aucune occasion de le dire à ses habitants.
Comme le note le prologue, le monde connaît « la rivalité sans la jalousie, l’affection sans la luxure, la malice sans la rage, la gentillesse sans la pitié ». Le héros, Jerak Carnelian, est, comme certains de ses compagnons, fasciné par la reconstitution historique. Ses malentendus classiques sur la société victorienne fournissent une grande partie de l’humour du livre, tout comme sa naïveté et son ingénuité, qu’Amelia Underwood finit par trouver charmantes.
Ce type d’humour est celui que l’on trouve généralement dans les histoires humoristiques de voyage dans le temps, et il est très bien rendu ici. Moorcock se révèle étonnamment doué pour l’esprit et l’humour. Il finit par développer une fascination pour Amelia Underwood, une voyageuse temporelle involontaire dotée d’un moyen de transport mystérieux. Carnelian finit par être fasciné par la Underwood victorienne (le XIXe siècle le fascine) et décide de développer son affection amoureuse. Il la choque de manière amusante, par exemple lorsqu’il réalise lentement qu’elle a besoin d’une salle de bain ou lorsqu’il veut essayer de la mettre à l’aise en lui apparaissant dans ce qu’il pense être des vêtements d’époque, mais qui sont en réalité des habits voyants.
Après d’autres moments humoristiques lors d’un voyage dans l’Angleterre du XIXe siècle à la poursuite de son amour, Underwood laisse entendre qu’elle s’est sincèrement attachée au charmant et naïf Carnelian, juste avant qu’il ne soit pendu et renvoyé dans son monde. Carnelian a également la particularité d’être l’un des deux seuls End of the Worlders conçus naturellement.
Les Terres creuses (The Hollow Lands) – 1974
Ce roman reprend certaines des idées et des thèmes comiques d’Une chaleur venue d’ailleurs.
Jherek Carnelian retrouve Mme Underwood. Malgré son attirance pour Carnelian, elle ne cédera pas à ses sentiments et n’encouragera pas Jherek, même si M. Underwood ne veut plus avoir affaire à elle depuis que Carnelian s’est présenté chez eux. Comme dans le premier livre, Carnelian est totalement déconcerté par de nombreux concepts de l’Angleterre victorienne, par exemple l’idée des vertus et l’abnégation, et il espère qu’Amelia l’éduquera.
Comme dans le premier livre, l’humour est omniprésent, notamment à travers les notions historiques déformées, les mœurs comiques lorsque Carnelian rencontre les Underwood et les gags burlesques lorsque l’inspecteur Springer, le capitaine Mubbers, ses agaçants compagnons extraterrestres « brigands musiciens », Mme Underwood et Jherek se retrouvent tous au Café Royale. Bien sûr, comme on peut s’y attendre dans un roman de science-fiction se déroulant en partie à la fin de l’époque victorienne, H. G. Wells fait une apparition et est un peu vexé que Carnelian trouve les idées de La machine à remonter le temps assez ordinaires.
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J’ai bien aimé le passage qui se déroule dans la nurserie des enfants éternellement arrêtés dans leur croissance. Ils vivent dans une boucle temporelle maintenue par une nounou robot quelque peu sénile. C’est dans ce roman que nous commençons à soupçonner que Lord Jagged est plus que ce qu’il semble être.
Il y a quelque chose de charmant dans ce roman de science-fiction se déroulant dans un futur lointain où le conflit principal de l’intrigue tourne autour du désir de Carnelian de se marier (même s’il a certainement une compréhension différente du mot qu’Amelia) et de la question très démodée de savoir si Carnelian et Amelia vont s’embrasser.
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La Fin de tous les chants (The End of All Songs) – 1976
C’était une fin charmante pour une série charmante. Elle est également beaucoup plus sérieuse que les livres précédents. Non seulement les détails du multivers et la position de Carnelian en tant que Champion éternel sont révélés, mais le livre explore de manière réaliste les difficultés psychologiques d’Amelia Underwood à s’adapter au monde de la fin des temps.
Comme Moorcock le souhaitait, ces difficultés servent de commentaires sur notre société et celle d’Amelia. Elle finit par réaliser à quel point son monde à Bromley était étriqué en termes d’espace, de temps et de moralité. Ce n’est pas tant qu’elle souffre d’un choc futur de la Fin des Temps. En fait, voulant essayer de s’intégrer, elle organise une splendide fête dont tout le monde parle et apprend à utiliser l’instrumentalité à la Fin des Temps. Mais, un peu comme une personne qui abandonne une vieille religion qu’elle sait intellectuellement être fausse, elle se sent coupable de son attachement à Carnelian et refuse de faire l’amour avec lui tant qu’elle n’est pas divorcée. Lorsqu’après une rencontre avec M. Underwood, elle considère que son lien matrimonial est dissous, elle a encore du mal à concilier son ancienne moralité avec la société de la Fin des Temps, avec ses rapports sexuels occasionnels sous toutes leurs formes, son luxe, son immortalité et son absence de conséquence, même si elle sait qu’elle est irrationnelle. Sa fête ne la satisfait pas vraiment et met Jherek mal à l’aise. Il se rend compte que ces notions (il lui dit qu’il ne souhaite pas détruire ses « notions démodées ») sont une partie essentielle de la femme qu’il aime. Pourtant, Amelia dit qu’elle a le sentiment irrationnel que le monde de Carnelian est une « parodie, artificiellement maintenue, niant la mortalité ».
Au cours d’une discussion avec Lord Jagged et Li Pao, elle et Li Pao avouent qu’ils sont habitués, contrairement à Jherek et ses pairs, à vivre dans un monde où la destruction est possible, toujours redoutée, et où la vie est une course contre la mort. Li Pao admet que son discours sur la décadence est peut-être le résultat de ce qu’il veut essayer de persuader les autres d’avoir un sentiment d’urgence et que seuls les conflits et la misère mènent à la vérité.
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Suite à des prophéties de catastrophe cosmique, Jherek ne se range pas du côté de ceux qui détestent l’idée d’une destruction possible. Pourtant, Amelia aspire à un but et l’obtient à la fin du roman. Lord Jagged révèle son plan pour les propulser dans le temps jusqu’au début du cycle où, dans la préhistoire, mortels et dépourvus de leur technologie très avancée, Amelia et Jherek peuvent repeupler la Terre. À la fin du roman, Lord Jagged se révèle être le grand manœuvrier et intrigant du livre.
À l’origine, voyageur temporel du XXIe siècle, il a trouvé un moyen d’éviter l’effet Morphail qui énonce que, en raison de la génération de paradoxes, un voyageur temporel ne peut pas retourner dans le passé ou, une fois parti dans le futur, ne peut pas revenir. Il passe beaucoup de temps au XIXe siècle, où il prend soin d’éviter les paradoxes en menant une vie discrète qui n’affecte pas son avenir. Il développe également le talent de voyager dans le temps sans machine à voyager dans le temps et kidnappe Amelia dans le cadre d’un programme visant à la faire se reproduire avec Jherek (son fils). Il est le premier à mettre l’idée d’une romance avec Amelia dans la tête de Jherek. Il spécule également que leurs enfants pourraient établir un monde où le temps serait redéfini. Il sauve également le monde de la fin des temps en le plaçant dans une boucle temporelle permanente, ce qui convient à la plupart de ses citoyens, comme Iron Orchid, bien que Jagged, après l’avoir épousée, (le roman se termine par toute une série de mariages, souvent absurdes, et conclut par l’annonce du mariage d’Amelia et Jherek et leur baiser – qui n’est pas leur premier), décide de ne pas rester à la Fin des Temps, mais de voyager à travers l’histoire, tandis que Jherek et Amelia partiront également.
Oswald Bastable et Una Persson, tirés du roman Le nomade du temps de Moorcock, apparaissent dans un passé lointain (un centre temporel du Paléozoïque où le temps et les « vaisseaux temporels » sont surveillés). Ils aident Amelia et Jherek à retourner à la Fin des Temps (il est également question de la Guilde des Aventures Temporelles), et ils apparaissent pour voir Jagged sauver la Fin des Temps avec sa boucle temporelle.
L’humour est toujours présent, comme dans les deux premiers livres. Les personnages comiques et agaçants de Lat et de l’inspecteur Spinger sont là. L’environnement et les villes ont été influencées par les automates déchaînés de Philip K. Dick.
L’un des meilleurs aspects du livre est la présence constante de citations du poète Ernest Wheldrake, dont je n’avais jamais entendu parler auparavant. Il s’agissait d’un personnage inventé par Algernon Charles Swinburne lorsqu’il écrivait des critiques littéraires. Moorcock a repris ce nom pour son poète fictif.