Le pauvre et la culture : l’art est-il un loisir de riches ?

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Écrit par Mallory Lebel

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Mea Culpa : ma vision condescendante de la culture

Moi le premier, on m’entend souvent louer les bienfaits de l’art et particulièrement de l’art écrit. J’aime l’écriture, la forme, les émotions que l’on peut faire passer à travers les mots. D’autres considèrent que la peinture ou l’opéra sont des arts fondamentaux.

Enfin, il m’est peut-être arrivé aussi de pester contre l’abaissement de la culture en France ou du moins le fait que celle-ci soit négligée tantôt par les politiques (niveaux scolaires abaissés, diplômes ayant moins de valeur) tantôt par les citoyens eux-mêmes (remplacement de la lecture par la télévision).

Mais, en relisant depuis quelques temps deux de mes auteurs préférés (Tolstoï et Jules Michelet), par deux fois je constate qu’ils comparent l’art à un loisir de riches. Leur vision bouscule tout à coup la mienne, elle paraît bien plus réaliste et bien moins condescendante que ce que j’osais croire.

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© PhOtOnQuAnTiQuE via www.flickr.com

TOLSTOI dénigrant l’art

Tolstoï dénigre carrément l’art en affirmant qu’il représente une perte de temps et qu’il ne s’agit que d’un langage « codé » créé par les aristocrates à l’intention de ceux de leur classe.

  • Après tout, l’art,
  • les codes,
  • les phrases compliquées,
  • les styles de peinture,
  • la musique classique…

…demandent un temps considérable pour être « décodés » ou au moins compris de l’amateur.

Certains amateurs de peinture, par exemple, mettent de très nombreuses années avant d’être très forts dans le domaine de l’impressionnisme, par exemple. Rares sont les personnes spécialistes à la fois de l’impressionisme, du surréalisme, du fauvisme, et caetera et caetera. Alors comment voulez-vous qu’un homme du peuple soit receptif à la fois à la peinture, à la grande musique, à l’écriture ?

Il faut un temps considérable pour apprendre à aimer un art en particulier, et encore plus de temps pour être capable d’en faire soi-même.

Certes, l’art est un langage par le biais duquel on peut faire passer de jolies émotions. Mais cet art n’est pas donné à tout le monde :

  • Il faut du temps non passé à travailler
  • De la concentration
  • Une absence totale de soucis tels que des problèmes d’argent
  • Bref l’art n’est pas destiné aux gens modestes

JULES MICHELET : défenseur du peuple

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Jules Michelet a toujours été mon petit chouchou. Je l’ai beaucoup lu dans mon adolescence, admirant son style d’écriture romantique, vivant, imaginatif, puissant. Puis je suis brutalement passé à autre chose. Je reviens vers lui aujourd’hui, et voilà le passage qui me pousse à écrire cet article :

Extrait du Cours professé au collège de France : 1847-1848 par Jules Michelet

« Les circonstances sont-elles les mêmes entre nous, privilégiés du loisir, du savoir, et les hommes de travail ? ont-ils le temps d’étudier, de chercher ? quand ils l’auraient, la fatigue n’est-elle pas un obstacle ? a-t-on toute la liberté de ses facultés inventives, la vive et féconde alacrité de l’esprit, quand on revient las le soir, qu’on trouve le foyer froid, et, autour d’une table nue, des enfants souffreteux, malades ? »

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© Couture.Haute

— Michelet a tout dit en peu de mots.

Retour en arrière : ce qu’il faut en déduire

Tout à coup je regarde d’un autre oeil ce que, peu de temps auparavant, j’osais écrire avec ce qui apparaît maintenant comme de la vanité.

  • Oui certaines personnes regardent la télévision au lien de se mettre la tête dans les bouquins le soir.
  • Oui certaines personnes ne prennent pas le temps d’éduquer leur esprit de manière à résister aux pressions et aux influences des manipulateurs d’esprits : publicitaires, politiques, commerciaux, religieux, tous ceux qui tentent de vous convaincre que leur cause est la meilleure.
  • Mais n’est-ce pas dans la logique des choses ?

Certains peuvent, après une dure journée de 12 heures de travail, prendre le temps de s’éduquer durant trois ou quatre heures supplémentaires : mais ils restent l’exception. L’art n’est pas quelque chose qui peut s’apprendre durant une pause café.

En lisant les journaux intimes d’André Gide, je me suis rendu compte que sa « situation » était bien différente de la mienne

L’auteur français, lauréat du prix Nobel, a produit 80 livres, dont beaucoup étaient des ouvrages autoédités à petit tirage qui étaient partagés avec des amis.

Certaines entrées de son journal intime mentionnent qu’il jouait du piano pendant six heures dans la journée. Lorsqu’il voyageait en Tunisie, il avait quatorze grandes malles d’effets personnels. En bref, il n’était pas comme moi. Il appartenait à une autre classe de personnes.

Le fait d’avoir visité la collection Duchamp il y a quelques temps au Centre Pompidou a suscité des questions sur l’homme que beaucoup reconnaissent aujourd’hui comme l’artiste le plus influent du vingtième siècle.

L’histoire de Duchamp est intéressante parce qu’il a atteint une telle notoriété, qu’il a créé une telle agitation dans sa vie antérieure et qu’il a ensuite tout abandonné pour jouer aux échecs pendant la seconde moitié de sa vie.

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Cela m’a amené à me poser des questions sur son emploi, ou plutôt sur la manière dont il subvenait à ses besoins. Certains diraient que jouer aux échecs tout le temps revient à ne rien faire. Je trouve étonnant qu’il ait accompli ce travail extraordinaire avant le début de la Première Guerre mondiale et qu’il ait pourtant vécu tranquillement, loin des regards du public, jusqu’à la guerre du Viet Nam, où il est décédé en octobre 1968.

L’expression « classe de loisirs » m’est venue à l’esprit et j’ai décidé de voir ce que Google avait à offrir, notamment cette définition de Lincoln Allison :

Classe consommatrice et parasitaire, représentée par une élite oisive engagée dans une démonstration publique continue de son statut.

Idée particulièrement associée à l’économiste sociologique américain, Thorstein Veblen, qui a publié la Théorie de la classe de loisir en 1899. Veblen considérait que le motif humain fondamental était la maximisation du statut plutôt que l’orientation vers une quelconque variable monétaire. Pour établir ce statut, les dépenses sont plus importantes que les revenus, l’amélioration du statut étant souvent obtenue par une « consommation ostentatoire » .

C’est ainsi que naît une classe de loisirs qui domine et banalise les loisirs au sein d’une culture, bien que ce modèle de consommation puisse être une caractéristique nécessaire du fonctionnement du système économique.

Les théories de Veblen appartiennent à la catégorie de l’analyse critique de la société de consommation, une forme de discours qui englobe des auteurs tels que Lewis Mumford, J. K. Galbraith et J. B. Priestley.

L’art est-il inutile ?

Si l’on suit ce raisonnement, l’art serait-il une invention inutile ?

L’art aurait-il été inventé par des aristocrates vivant d’héritages et de pensions ? par des femmes auxquelles des maris embourgeoisés ont demandé de rester à la maison et qui s’ennuyaient ?

L’art est-il quelque chose qu’on fait lorsqu’on s’ennuie ?

J’avoue que, pour le coup, vos avis et vos lumières m’intéressent car je ne sais plus que penser.

Le photographe moderne Oleg Dou

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7 réflexions au sujet de “Le pauvre et la culture : l’art est-il un loisir de riches ?”

  1. Heureusement que les « pauvres » peuvent faire vivre l’art, qu’ils sont créatifs. C’est pas l’arpentage des riches. Mais comme le langage (tout le monde parie mais pas de Ia même façon, familier, soutenu…), les riches l’ont complexifié pour se l’approprier.

    L’art simple, accessible à tous, comme l’était le Jazz avant d’ailleurs pour reprendre l’exemple au dessus, était un art universel, de pauvres pour les pauvres. Puis y’a eu du fric à se faire, les blancs riches ont pris la main dès qu’ils ont compris qu’ils avaient de la tune à se faire (comme toujours). Le Jazz c’est devenu une musique dont seul les plus riches complexifient et comprennent les codes désormais.

    Et qu’est ce que l’art ?

    Exemple, Aya Nakamura vend plein de disques, parle à la classe populaire. Et quoi qu’on en dise, au même titre que le Jazz, c’est de la culture, de l’art. Mais aux yeux des bobos ++, classe aisée/riche, c’est reléguée au rang de « merde musicale ». Ce n’est pas de l’art. Ha. Au nom de quoi ? Qu’est ce que l’art donc ? Again ? Quel est sa fonction ?

    L’art des riches est chiant et élitiste. Pourtant je lis beaucoup et je suis photographe. Mais je le pense quand même.

    Pour se concentrer, comprendre un art, tel qui soit, il faut du temps, de l’argent, pas juste de l’envie. Faut être sacrément déconnecté pour penser que seule l’envie suffit.

    Voilà pour moi, je n’y ai pas mis de smiley mais tout est dit calmement 🙂

    Répondre
    • Bonjour Chrys, et en effet je pense comme toi. Il est facile de s’en prendre au « petit peuple » de plus en plus « décérébré » selon certains. Certes le niveau scolaire s’abaisse et ça fait peur car les gens, sans recul, sans histoire, sans vision large, deviennent des moutons. MAIS…

      Mais les critiques ignorent peut-être ce que ça fait de faire un travail de nuit, de travailler de 22h00 à 07h30 quatre nuits par semaine, ce qui vous laisse à l’état de « zombie » la plupart des autres jours.

      Ils ignorent peut-être ce que ça fait de subir un « petit chef » tyran quand on travaille en journée 5 jours sur 7 et qu’on ne pense qu’à une chose : rentrer à la maison et se blottir dans les bras de sa femme.

      L’art, je le pense comme toi, demande un « temps long » et un esprit calme qu’on ne peut avoir qu’avec de la sérénité, et souvent, de l’argent.

      Pensez aux paysans du Moyen-âge qui luttaient contre la famine. Vous croyez qu’ils pouvaient devenir des Rabelais ? A l’époque ce sont les moines qui avaient le temps long pour se livrer à l’écriture.

  2. Les emplois et le travail ne sont pas mauvais. Ils sont nécessaires pour survivre dans une société capitaliste et matérialiste.

    Il y a des gens qui ont des emplois et des carrières incroyablement satisfaisants et significatifs qui ajoutent une valeur incommensurable à leur vie. C’est formidable. Mais il y a aussi des gens qui sont pris dans cette course vicieuse par pure nécessité ou par inconscience.

    C’est pourquoi nous avons besoin d’une relation plus saine et plus équilibrée avec notre vie professionnelle. Dans Leisure, the Basis of Culture, Pieper préconise un travail qui inclut des fenêtres de temps pour la contemplation, l’introspection et la réflexion. En substance, une vie qui inclut le travail mais décentralise son rôle pour laisser place à l’intégration des loisirs.

    Répondre
  3. Nous devons modifier notre relation au travail. Nous devons réfléchir à la formation d’identités qui ne soient pas exclusivement liées à nos emplois et à nos carrières. Et, bien que l’éthique française consistant à faire du travail le centre de notre univers soit profondément enracinée dans l’esprit de la culture, rappelons-nous que le but fondamental du travail est de gagner de l’argent.

    Et qu’est-ce que l’argent achète ? Des options. La plus précieuse de ces options est le temps. C’est en fait l’atout le plus précieux de notre vie, car celle-ci passe en un clin d’œil. Dépensez bien votre temps.

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    • Si si, ça intéresse du monde (enfin moi tout du moins). Mais je ne suis pas du même avis que ce bon vieux Tolstoï et que Michelet (que je ne connais pas). Pour la simple raison qu’une quantité astronomique d’œuvres ont été réalisées par des personnes économiquement pauvre ou très modestes. Je pense au Blues et à Leadbelly, au Jazz avec Django, à bon nombre d’écrivains (Gogol, Bukowski, etc) et des peintres à la pelle. Par exemple dans la culture gitane, chez les sinti en particulier, la musique a une place prépondérante et bien que jouant essentiellement du Jazz manouche, ils écoutent beaucoup de musique classique (Chopin, Gabriel Fauré, Debussy, etc.). Je ne crois pas que ce soit une question de richesse, sauf évidement si on vit au bord du lac Victoria et que la vie consiste à faire sécher de la perche du Nil à grand coup d’ammoniac …

      Je pense plus que la culture est plus une question d’envie. Par exemple j’adore la musique, j’en joue tous les jours, mais par contre je suis hermétique aux arts plastiques. Ça ne m’intéresse pas, car jamais le moindre sentiment ne m’a traversé via le visuel. Je n’y suis pas réceptif. Peut être que ça changera, mais je n’irai jamais me compromettre à aller « faire une expo photo » juste histoire de faire comme si cette forme d’art m’intéressait.

    • Merci de ta petite pierre à l’édifice. C’est vrai que ton argument est convaincant et que, naturellement, je penche aussi vers ton avis… Il doit sûrement y avoir des philosophes qui ont étudié la question.

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