Conan le Barbare : Le film culte
Le film de John Milius datant de 1981 est un chef d’oeuvre, poétique, transcendé par la musique épique de Basil Poledouris. Peu de mots sont prononcés par Arnold Schwarzenegger, mais les scènes tournées au ralenti, les regards, les gros plans, les paysages empreints de poésie ont fait de ce film un film culte.
A l’origine il s’agit d’une série de nouvelles et de romans du génial auteur américain Robert E. Howard. Il peut être considéré comme le père de la fantasy moderne, et le relire aujourd’hui prouve qu’on peut écrire de la fantasy tout en ayant un style totalement littéraire, imagé, adapté à ce que l’on écrit. Il est mort prématurément à l’âge de 30 ans, à la grande déception de ses fans. Voilà ce que dit l’encyclopédie Wikipédia de son suicide :
Le 11 juin 1936, lorsqu’on confirme à Robert Howard que sa mère ne sortira plus de son coma, il se suicide d’une balle dans la tempe, agonisant huit heures avant de mourir. Sa mère mourut le lendemain. Howard songeait au suicide depuis des années, au moins depuis 1923, bien avant que la santé de sa mère ne se dégrade. Il est donc très réducteur de vouloir « expliquer » son suicide par la seule raison de la mort de sa mère.
Je mentionne qu’une réédition indispensable de l’intégrale de Conan par Robert Howard (avec de nouvelles traductions) est magnifiquement proposée, depuis peu, par les éditions Bragelonne : lien ici sur Amazon.
Bien sûr, ce n’est pas censé être un film uniquement destiné aux enfants, et j’imagine que beaucoup d’autres cinéphiles l’apprécieront. Mais « Conan » est un fantasme parfait pour les préadolescents en rupture avec leur environnement. Pensez-y : les parents de Conan sont brutalement assassinés par le méchant Thulsa Doom qui se débarrasse d’eux. L’enfant est enchaîné à la roue de la douleur, où il tourne en rond pendant des années, une métaphore de l’école primaire. Le gamin se muscle tellement qu’il pourrait devenir joueur de football professionnel. Un jour, il est libéré. Il fait équipe avec Subotai le Mongol, qui est un exemple du type littéraire classique, et avec Valeria, la reine des voleurs, qui est une véritable meilleure amie.
Valeria est tout ce qu’un préadolescent musclé peut rêver d’avoir comme femme. Elle est grande, musclée et sportive, et elle sait monter à cheval, lancer, poignarder, se battre à l’épée et grimper à la corde aussi bien qu’un garçon. Elle tient parfois des propos un peu grossiers sur l’amour, mais on voit bien qu’elle plaisante et elle se reprend rapidement en parlant de fidélité et de trahison, des sentiments plus proches de l’expérience et de la maturité de Conan.
Avec le Mongol et la reine à ses côtés, Conan part à la recherche du maléfique Thulsa Doom pour venger la mort de ses parents. Pour cela, il doit se rendre dans l’Orient mystérieux, où il apprend rapidement quelques rudiments de kung-fu, puis dans les montagnes où Doom règne sur ses prêtres esclaves du haut de sa Montagne du Pouvoir. Il y a beaucoup de batailles et quelques nuits intéressantes dans des auberges rustiques, mais dans l’ensemble, rien qui ne puisse vous perturber.
« Conan le Barbare » est une adaptation réaliste de la légende de Conan, le récit de Robert E. Howard sur un surhomme qui vivait dans un temps immémorial.
Mais ce n’est pas exactement le Conan de Robert E. Howard
Le personnage créé par le jeune écrivain texan est un dur à cuire, un animal sous forme humaine, doté des instincts et des réflexes de la nature sauvage, un combattant rusé et retors, façonné à parts égales par l’hérédité et l’expérience. C’est un surhomme, mais dont la filiation remonte directement à Beowulf et Enkidu, Siegfried et Attila, Alexandre et Genséric.
- Le Conan de John Milius est un jeune barbare des terres du nord qui renaît avec l’âme d’un guerrier samouraï. Cela fonctionne bien dans le contexte de la révision de Milius, mais cela change radicalement l’orientation guerrière de Conan en remodelant l’essence même du personnage.
- Le Conan de Howard est un bagarreur et une brute, qui a de la chance d’être en vie, forgé par ses aventures pour devenir un guerrier-roi quasi classique ; mais le Conan de Milius est d’un tout autre ordre. Pour le personnage des histoires de Howard, l’épée est un outil ; dans le film de Milius, elle est l’esprit du guerrier et symbolise richement le guerrier en tant qu’homme nouveau, épanoui et dépassant ses limites, le surhomme.
Dans la plupart des histoires de Conan écrites par Howard, les femmes sont des trophées ou des prostituées ; dans le film de Milius, Valeria est la femme parmi les femmes, spéciale et élevée, l’égale du nouvel homme, l’autre moitié de son âme. L’apprentissage de l’art de la maîtrise de l’épée et la rigoureuse autodiscipline que Conan acquiert dans le film sont purement inspirés de Musashi par John Milius, tout comme le respect pour l’épée elle-même, pour l’acier, dont l’importance prend une dimension spirituelle : les armes sont « l’expression de la volonté dirigée vers un but précis », selon Jung. Les armes comme extensions de soi, maîtrise de soi, dépassement de soi : la volonté de puissance.
Le casting du film est idéal
Arnold Schwarzenegger est inévitablement choisi pour incarner Conan, et Sandahl Bergman pour Valeria. Physiquement, ils ressemblent à la conception que l’artiste avait d’eux-mêmes. Ce qui est sympa, c’est qu’ils créent également des versions divertissantes de leurs personnages ; eux, tout comme le film, ne sont pas dépourvus d’humour et d’une certaine malice tranquille qui ne déborde jamais. En version originale, le léger accent teutonique de Schwarzenegger est même un avantage, puisque Conan vivait bien sûr à une époque où l’accent américain n’existait pas encore.
Le film est une réussite totale en termes de conception, de décors, d’effets spéciaux et de maquillage. À une époque où la plupart des grands succès au box-office font étalage d’une technologie de pointe, « Conan » se classe parmi les meilleurs. Ron Cobb, dessinateur underground occasionnel qui a réalisé la conception artistique de ce film (et de «Alien»), supervise un travail où les images individuelles ressemblent vraiment à des agrandissements de planches tirées des bandes dessinées « Conan » de Marvel Comics (pour ma part mon dessinateur de Conan préféré est sans aucun doute John Buscema Jr. que je lisais étant ado). Étant donné que ce Conan aurait pu facilement paraître ridicule, c’est une véritable réussite.
Mais il y a un aspect du film qui mérite louange. Il s’agit de la manière dont est joué le personnage de Thulsa Doom, le méchant. Il est interprété ici par l’excellent acteur noir James Earl Jones, qui apporte puissance et conviction à un rôle qui semble inspiré à parts égales par Hitler, Jim Jones et Goldfinger.
Conan le Barbare est la recette de John Milius pour créer le surhomme de Nietzsche
Il indique très clairement dans le titre qui ouvre le film l’ingrédient secret nécessaire pour concocter un super surhomme :
« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts », sa paraphrase de la maxime 8 du Crépuscule des idoles de Nietzsche (qui, dans la traduction de Kaufmann, est « De l’école de la guerre de la vie : ce qui ne me détruit pas me rend plus fort »). C’est ainsi que John Milius marie le rêve nietzschéen d’un surhomme qui se réalise et se crée lui-même avec les moyens d’atteindre cet objectif ambitieux :
- l’autodiscipline
- la maîtrise de soi
- la volonté déterminée du guerrier samouraï
Ce n’est pas le Conan de Howard, mais c’est néanmoins un Conan qu’il aurait pu apprécier et comprendre.
NordVPN
NordVPN est un des fournisseurs de VPN majeurs. Il offre un accès illimité à des milliers de serveurs dans le monde entier, ainsi qu'un doublement du chiffrement pour les communications et le surf les plus sensibles.
Fonctionnalités avancées :
- Une adresse IP dédiée
- Des serveurs spécialisés pour le peer-to-peer
- Des serveurs qui transitent via TOR (pas besoin d'installer le navigateur)
Ce service vous permet de contourner les restrictions des FAI et les blocages d'adresses IP. NordVPN intègre aussi des outils de blocage des publicités et des logiciels malveillants.
Malgré la transformation de Conan en un proto-samouraï nietzschéen de l’ère hyborienne, Conan le Barbare de John Milius est une adaptation réussie de l’univers héroïque fantastique de Howard (et bien sûr du genre épée et sorcellerie) car Milius lui-même est parfaitement à l’aise avec la vision païenne du monde de Howard. Milius comprend les conventions et les motifs fondamentaux de la mythologie héroïque occidentale ; après tout, c’est le matériau à partir duquel il a élaboré ses propres scénarios et films.
Il apprécie les sentiments inhérents à la fantasy héroïque :
- l’intensité d’une vie vécue à chaque instant dans des circonstances périlleuses,
- la dignité inhérente à l’individu qui vit sa vie selon ses propres règles,
- le sentiment profond de solitude et l’intégrité qui en découle.
Et bien que l’élément fantastique fût nouveau pour Milius dans ce film et qu’il ne l’ait plus utilisé depuis, il a su l’intégrer à la structure de Conan le Barbare.
Dans les récits de Robert E. Howard, la sorcellerie est l’expression de forces incontrôlées ou contre nature, un affront qu’il faut tenir en échec, et la réaction de Conan face à la sorcellerie est celle d’un être primitif : fuir ou s’écarter, ou, si cela n’est pas possible, l’affronter et la tuer, ou mourir en voulant essayer.
Conan est l’homme à son apogée, l’incarnation du plus grand accomplissement possible :
- la survie du plus apte,
- un esprit vif dans un corps exceptionnel,
- et ce corps, un mécanisme physique maîtrisé par une volonté extrêmement entraînée et qui lui est soumise.
Thulsa Doom, en revanche, est le plus bas, l’animal, voire le reptile, ce que nous avons laissé derrière nous dans notre ascension vers l’humanité. Il est le rebut de l’humanité, un cannibale, un métamorphe qui se moque de Conan et de nous en prétendant être humain, alors qu’il s’appuie sur des attributs qui ne sont pas le fruit de l’épreuve, de l’autodiscipline et d’une volonté triomphante, mais simplement l’émanation de sa propre bestialité, de sa propre reptilité. Il fixe du regard et ses yeux de serpent transpercent ses victimes ; aucun défi n’est relevé, aucune bataille n’est gagnée.
Son esprit est vif et rusé comme celui d’un animal, et il attire ses victimes, ses disciples, avec la promesse de réponses faciles, de mystères expliqués par des platitudes, de paradoxes de la vie rejetés comme superflus à la commodité toute faite de sa doctrine. Il n’est pas nécessaire de travailler, il n’est pas nécessaire de se maîtriser, il suffit de suivre et d’accepter ce qui est, car c’est tout ce que la vie a à offrir.
Ce faisant, on évite de causer des problèmes qu’on ne peut pas gérer. « Les gens ne comprennent pas ce qu’ils font », dit Thulsa Doom à Conan, et c’est une accusation lancée à un jeune homme qui ne veut pas suivre et accepter, un fauteur de troubles qui ne montre aucun respect pour le sorcier qui a fait de Conan ce qu’il est. En d’autres termes, les actions ont des conséquences. Agir, c’est prendre ses responsabilités, affronter le danger, défier l’échec, compter sur soi-même et se faire confiance. Conan comprend cette vérité toute simple, car sa vie n’a été qu’une succession d’épreuves difficiles qui lui ont permis de l’apprendre, et le fait d’avoir été roué de coups par les gardes personnels de Doom n’est que la dernière conséquence en date de cette série d’épreuves.
Conclusion
« Écris avec ton sang », dit Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra Première partie, « et tu découvriras que le sang, c’est l’esprit ».
Robert E. Howard comprenait la vérité inhérente à cette pensée, tout comme John Milius. Il est vain de condamner un artiste pour ne pas avoir fait ce qu’il n’avait jamais eu l’intention de faire. John Milius n’avait pas l’intention de produire Conan le Barbare comme une adaptation parfaite (ou image par image) des histoires de Robert E. Howard (d’ailleurs, une adaptation totalement fidèle d’un média à un autre est impossible). Mais il nous a offert un film fantastique et héroïque dont les personnages, les motivations et l’univers ont été soigneusement construits et mûrement réfléchis, comme un bon romancier compose une bonne histoire.
Conan ne nous trompe pas en prenant pour acquis les éléments puissants et fantastiques (mais facilement banalisables) de la fantasy héroïque ; il ne cède pas au plus petit dénominateur commun des attentes du public. Avec Conan le Barbare, John Milius a réussi ce que des cinéastes moins imaginatifs et moins attentionnés n’ont pas réussi, ce que Howard lui-même a réussi dans ses nouvelles originales : une fantasy héroïque qui peut être prise au sérieux et considérée avec respect.
La goutte d’eau qui fait déborder le vase …
et Conan, la comédie musicale :
https://www.youtube.com/watch?v=OBGOQ7SsJrw
Le père de la fantasy moderne est Lord Dunsany (d’ailleurs l’un des auteurs préférés d’Howard), mais à part cela, je suis d’accord avec toi sur toute la ligne.
Je suis une grande fan d’Howard et de ses univers baroques ; sa production littéraire est incroyablement riche et abondante pour une carrière si courte. Il écrivait en une époque on l’on ne doutait de rien, et c’est sans doute pour cela que le Conan de Milius colle au sujet : dans les années 80, on ne doutait de rien non plus. Alors que de nos jours, tout est calculé pour une audience maximale.
Cela dit, on ne peut parler de remake puisqu’il y a une œuvre littéraire à la base. Je ne pense pas que ce sera obligatoirement lamentable, mais ce sera forcément aseptisé, politiquement et consensuel. Je ne suis pas allergique aux nanars, mais j’attendrai la sortie vidéo… 🙂
Merci de ton avis, Max, l’avis d’un « spécialiste » du cinéma comme le montre ton blog est toujours utile 😀 (malheureusement ça confirme mon impression quant au film 🙁 )
Il est définitif que ce remake sera inférieur au magnifique film de Milius. De par le talent pas si bon de son réalisateur, de par le nouvel acteur au charisme digne d’une pelle et de par la filmographie merdique de son producteur, ce n’est qu’une évidence. Mais peut-être que la surprise sera au rendez-vous… mais j’en doute.