1848 : Censure politique du gouvernement contre des professeurs

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Écrit par Mallory Lebel

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    La Chaire d’histoire au Collège de France

— 1847 : Jules Michelet (1798-1874), professeur d’histoire au Collège de France, donne des cours sur ce qu’il appelle l’union sociale, une sorte d’histoire de la société et de la famille dans la France contemporaine (qu’il appelle « philosophie sociale »).

— Il met en exergue, devant ses élèves studieux et admiratifs, le rôle de la femme  et de l’enfant dans la famille française, et le rôle du peuple dans le mouvement de l’histoire. Selon lui, les lettrés n’écrivent que pour les autres lettrés, oubliant la majeure partie de la population qui, pour une grande faction, n’a pas le temps de lire ou n’a pas l’éducation nécessaire. Toujours dans sa logique, les élites se sont coupées d’une grande partie de la réalité et du peuple qui doit s’unir pour faire perdurer les idées de la Révolution française.

— Voilà une rapide introduction au cours de Jules Michelet (<— ici lien vers le fichier .pdf de son cours, téléchargeable légalement en raison de l’extinction du droit d’auteur).

    02 janvier 1848

— A cette date, Jules Michelet reçoit un courrier de l’administrateur du Collège de France lui apprenant sa suspension sur « décision du gouvernement ». Après Mickiewicz et Quinet (ici liens vers l’encyclopédie libre Wikipédia), Michelet est le 3ème professeur à être évincé sur décision ministérielle.

— Lui-même connaît parfaitement les motifs de sa suspension : prodiguant des cours d’histoire, Michelet était amené à critiquer le clergé et la royauté (alors en place) en faveur de la République et d’une représentation du peuple.

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— Sa salle est fermée. Il n’enseignera plus. Censure. Il lui reste la voie de l’écriture.

    Réponse de Jules Michelet

c Renaud Camus via www.flickr.com
© Renaud Camus via www.flickr.com

« Nous entrons, Messieurs, dans une époque difficile, époque d’étouffement,  de violence et de silence. La parole étouffée, nous nous réfugions dans la Presse ; là, nous tiendrons tant qu’il y aura une Presse. Ce que nous pouvons du moins promettre, c’est que vous y retrouverez le même homme, la même fermeté d’opinion, la même constance. »

    la Presse

– Nous voyons que même pour Michelet, la littérature est un art marginal ne touchant pas la plus grande partie de la population.

– A partir du moment où le pouvoir politique le censure et l’empêche d’enseigner, il dit se réfugier dans la Presse qui représente un moyen d’expression libre même si, selon ses préceptes, elle ne touche pas non plus l’ensemble de la population.

    Internet

— A notre époque, qu’aurait pensé Michelet d’internet, des sites, des blogs personnels? De Twitter, actuellement dans la tourmente pour mettre la lumière sur des évènements que d’autres aimeraient voir cachés (ici pour comprendre l’allusion) ? Certes Internet est une Presse démultipliée où  tout un chacun peut exprimer librement ses opinions sans censure et avec la possibilité de toucher un maximum de personnes. Cependant, si tout le monde publie ses opinions sur des blogs, la véritable information devient noyée, perdue au milieu d’articles tantôt ineptes, tantôt carrément faux. Le problème, avec internet, n’est plus la liberté d’expression mais la recherche de la bonne expression.

— Il s’agit, à n’en pas douter, d’un progrès. C’est au peuple de défendre cette parole récente qu’il vient d’acquérir.

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7 réflexions au sujet de “1848 : Censure politique du gouvernement contre des professeurs”

  1. C’est vrai que je cultive plutôt la pensée du cerveau que celle des tripes. Je ne dis pas que penser avec ses tripes n’a aucune valeur ou aucun mérite, mais c’est aussi cause, bien souvent, de conséquences funestes à tous les niveaux.

    L’humour me fait rire, même quand il touche des questions qui sont pour moi sensibles. Mais je ne peux m’empêcher de me demander si dans notre société, on ne prête pas une trop grande place à l’humour dans le débat politique. Beaucoup de gens ne finissent par ne voir des questions capitales qu’à travers cette lorgnette, réductrice car focalisée sur une interprétation extrême en la privant de tout élément contextuel. L’humour n’est pas un vecteur de vérité et l’une des grosses ambiguïtés de notre société est de faire croire qu’il puisse l’être… Mais il faut dire que je ne fais pas tellement plus confiance aux médias, pour lesquels à de rares exception, l’objectivité est une notion plus qu’abstraite. Dans tous les cas, le droit de l’humoriste à s’exprimer est la preuve de notre liberté de pensée, mais elle ne la garantit en aucune façon. Je ne suis pas pour la sacralisation de l’humoriste, non par esprit de censure, mais parce que notre société n’est peut-être pas assez mûre pour faire la part des choses.

    En ce qui concerne les opinions politiques, j’ai moi même été sévèrement persécutée à l’école par les enfants comme les instituteurs parce que mes parents étaient soupçonnés ne pas être de la bonne « couleur » (en banlieue rouge…) Donc je considère que NON, personne n’a à être persécuté pour ses opinions. MAIS le cas d’une chaîne ou d’une radio me semble différent dans la mesure où ce n’est pas une tribune libre, où elle répond à une ligne éditoriale et que les personnes qui y sont employées sont plus ou moins contractuellement tenues de s’y conformer. Il ne s’agit pas tant d’une questions d’opinions que d’une question de contenu souhaité et souhaitable… Cela peut nous énerver mais il ne faut pas le perdre de vue non plus. Combien de journaux accueillent en leurs pages des chroniqueurs ou des éditorialistes qui ne correspondent pas à leur vision politique ? Dès qu’un organe de média (même soit disant « d’État ») se positionne politiquement, il censure de fait toute personne qui ne la suit pas. Et comme d’habitude, quand cela correspond à nos opinions, cela ne nous gêne pas…

    En ce qui concerne la liberté d’expression… Elle n’existe pas en France car nous fonctionnons sur la base d’une censure légale – en tant que Webmestre qui rédige des chartes pour chacun de mes forums, j’y interdit bon nombre de positions autant parce qu’elles sont nuisibles que parce que leur expression sur mes espaces pourraient me conduire en prison. Et la frontière entre l’opinion « légale » et « illégale » est subjective et variable. Après, je ne discuterais pas du bien fondé de ces interdictions, mais les débats autour de Noam Chomsky et ses prises de positions m’interpellent et m’intéressent… Ne serait-ce que parce que nous devons admettre que la notion « philosophique » d’une véritable liberté d’expression nous est culturellement étrangère.

  2. Je vais me coucher je ne m’étendrai donc pas trop sur ta dernière question qui, pourtant, m’a fait esquisser un sourire. Car ce que tu dis inspire le « raisonnable », tu ne sembles pas te laisser envahir par tes émotions, chose que j’ai tendance à cultiver pour ma part. Je reconnais être de nature fougueuse, et je reconnais que tes paroles semblent calmer les choses avec raison. Cependant, en ce qui concerne Guillon (mais là on risque de déraper sur un autre sujet), on peut aussi se poser la question de l’humour : jusqu’où l’humour peut-il aller ? Peut-on tout dire par hu(a)mour ? Peut-on estimer qu’une critique est une calomnie (en ce qui concerne Guillon personne n’a été insulté et donc aucune infraction pénale n’a été commise) ? Enfin, peut-on mettre à la porte quelqu’un pour des opinions politiques ? Je t’avoue avoir du mal à accepter toute atteinte à la liberté d’expression.

  3. Je te remercie, peu de gens connaissent ma formation, il y en a moins encore qui la respectent !

    En ce qui concerne Michelet, je suis persuadée qu’il n’était effectivement pas le seul, mais c’est celui qui a laissé les marques les plus durables dans la culture française : il est pour moi emblématique de la maltraitance de l’histoire et des stigmates durables qu’elle a pu engendrer. Donc, oui, il « prend pour les autres ». Nous avons tous nos grands hommes et il n’est pas le mien.

    En ce qui concerne Guillon, je ne le connaissais pas avant cette affaire : je suis très peu l’actualité dans les médias – j’ai la chance d’avoir accès à l’AFP qui me donne une image pas trop déformée de l’actualité. Il m’est donc un peu difficile de juger si oui ou non, il a été trop loin : dans notre système juridique et moral, la liberté de parole existe, mais aussi la notion de calomnie ; partant de là, chacun a le droit de l’invoquer sans que ce soit automatiquement scandaleux. Ce que je sais aussi, c’est que très souvent, nous nous échauffons pour soutenir ceux dont nous partageons les idées tout en approuvant la mise à l’écart de ceux dont les propos nous choquent. Je connais peu de gens pour qui le droit d’expression est sacré au point de défendre la liberté de parole de ceux qui ne partagent pas leurs idées – je ne suis même sûre d’en être moi-même capable. C’est un peu long pour dire que je n’ai pas d’avis… non ?

  4. — Respect pour ta formation que je connais fort bien puisque j’ai, moi-même, été élève d’une classe préparatoire à l’école des Chartes au lycée Henri IV à Paris – Que de souvenirs, et que de regrets aussi de ne pas être allé jusqu’au bout de la prépa. Cette école a été mon rêve, et je suis heureux pour toi que tu sois allée jusqu’au bout.

    — Pour en revenir à nos moutons, certes depuis 1761 on se rend compte que l’histoire doit être une science objective. Mais est-ce vraiment appliqué sérieusement depuis cette date-là ? Tu ne m’empêcheras (peut-être) pas de penser que Michelet n’était pas le seul professeur ni le seul historien à mêler sentiments et histoire.

    — De toute façon, dans le fond tu as évidemment raison : Michelet aurait dû s’astreindre à plus de réserves. Cela n’empêche pas de trouver la censure dont il a été victime sévère. J’ai essayé devant toi de le « défendre » en soulignant que c’était un excellent professeur et que l’histoire n’était pas aussi rigoureuse qu’aujourd’hui.

    — A ce sujet, ne peut-on pas faire une analogie avec l’éviction de l’humoriste Guillon dans notre actualité ?

  5. Pour cette histoire de citation, ce n’est pas du tout le cas. Tu apportes une réflexion réelle à la chose, tandis que ceux que j’épingle se contentent du degré zéro de la chose. Ils ont le droit de le faire et j’ai le droit d’en rire, c’est la magie du web !

    Je ne suis pas tout à fait d’accord sur l’image de la science au XIXe siècle. Je sais qu’il est généralement admis que l’histoire a cessé d’être une simple forme littéraire assez tardivement, mais j’ai été formée dans une école créée en 1821 (remarquons l’ancienneté de cette date…) pour former des érudits capables de préserver et exploiter les sources de l’histoire et éviter que l’histoire ne se nourrisse que de fantasmes.

    La réflexion sur une éthique de l’histoire est encore plus ancienne : dans un texte de 1761, Voyer d’Argenson stigmatisait les historiens qui ne parlaient « qu’inspirés par une partialité personnelle, même dans les points les plus essentiels de l’histoire ». Il évoquait ici les auteurs ecclésiastiques, mais la problématique reste la même.

  6. — Merci de ton intervention, Milathea, en espérant que je ne fais pas partie de la catégorie de blogueurs dont tu dis, sur ton site, qu’ils trouvent des sujets « faciles » en prenant des citations d’auteur. Loin de moi l’idée de justifier l’existence de mes articles. Je précise cependant que je ne prends pas des citations au hasard, ma démarche est toute autre, en réalité elle est même inverse : je m’inspire de mes lectures du moment et consigne par écrit quelques unes de mes réflexions inspirées de ces lectures. Ceux qui suivent mon blog savent d’ailleurs que ça fait un petit moment que mes articles traitent, de loin ou de près, de Jules Michelet.

    — Bon revenons-en à nos moutons. Michelet. Ah ! quel bonheur de pouvoir discuter de cet homme que personnellement je trouve exceptionnel, même si je ne suis ni un spécialiste ni un « professionnel », loin de là. Je revendique mon statut de simple et modeste amateur. Je crois comprendre où tu veux en venir (le tutoiement, j’espère, ne sera pas mal pris) car, lisant Michelet depuis un certain nombre d’années, je sais combien cet homme n’est pas quelqu’un de partial. Pour un historien, c’est un gros handicap. Ce n’est pas forcément un handicap pour un lettré.

    — Pour en revenir à l’avis un peu sévère que tu donnes (même s’il est compréhensible), à mon avis tu réagis en tant qu’enseignant du XXème et XXIème siècle. Ce que je veux dire, c’est que l’état d’esprit au XIXème siècle (que tu affectionnes particulièrement si j’en crois ton blog) était radicalement différent : comme l’expriment les spécialistes de Michelet, ce dernier captivait ses élèves, il avait une aura et un charisme particuliers, ses élèves le suivaient de nombreuses années à l’affilée, lisaient l’Histoire qu’il publiait, et se présentaient à ses cours en comprenant immédiatement où il voulait en venir. Au XIXème siècle, la science (car l’Histoire en est une), la science telle qu’on l’entend aujourd’hui, n’en était qu’à ses débuts. Il n’y a qu’à lire les encyclopédies de médecine du XIXème : nous rions aujourd’hui en les lisant. Les « scientifiques » d’alors adhéraient à une idée et la défendaient dans leurs publications ou dans leurs cours. Certes ils n’étaient pas impartiaux mais on le leur demandait moins qu’aujourd’hui. Ils avaient l’impression d’avoir la vérité et eux seuls la diffusaient. Il n’y avait pas les modes de communication rapides que nous avons aujourd’hui. Michelet, parmi de nombreux autres professeurs, enseignait ce qu’il croyait. Ce qu’il croyait être vrai. Et il le faisait bien.

  7. D’un autre côté, Michelet, en s’accaparant l’Histoire, n’avait aucun scrupule à la manipuler pour s’en servir comme support idéologique dans le cadre même de l’enseignement. Certes, il aurait flatté le pouvoir en place, il aurait été laissé en paix, mais sa démarche n’avait rien d’éthique. L’idéologie appartient au domaine de la presse et de la tribune, jamais à celui de la salle de classe.

    La liberté d’opinion est fondamentale, mais Michelet, même avec de louables intentions appartenait plus au parti des manipulateurs qu’à celui des défenseurs du savoir. C’est du moins mon avis d’historienne et de professionnelle du patrimoine écrit, condamnée à frémir en entendant encore et toujours des personnes pourtant érudites et cultivées adhérer à ses thèses pourtant largement remises en cause depuis.

    Cela dit, la liberté d’expression sur Internet est fondamentale et j’y demeure pour ma part très attachée.

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