Le porno en France vient d’entrer dans une nouvelle ère. Grâce aux interventions à grande échelle de la loi sur la sécurité internet, l’époque où il suffisait de cocher une case pour déclarer que l’on avait plus de 18 ans est révolue.
Désormais, toute personne voulant consulter ce type de contenu doit se soumettre à des contrôles d’âge plus stricts :
- saisir les détails de sa carte de crédit,
- télécharger une pièce d’identité avec photo,
- voire utiliser des scans faciaux basés sur l’IA.
L’objectif de toutes ces mesures serait d’éloigner les enfants des contenus qui « étaient auparavant considérés comme extrêmes », mais qui « font désormais partie de la pornographie internet grand public ». Lorsque les jeunes accèdent à ce type de contenu, cela risque de normaliser des comportements qui pourraient nuire à leur développement émotionnel et psychologique futur…
Mais l’impact de cette loi ne se limite pas aux jeunes. Pour les adultes, ces nouveaux délais signifient que la pornographie n’est plus accessible en un clic. Les interruptions liées à la vérification de l’âge, aussi minimes soient-elles, incitent déjà certains utilisateurs habituels à reconsidérer leurs choix. Et cela pourrait être une bonne chose.
Avant toute chose, nous devons aborder le sujet qui fâche : comment une personne peut-elle savoir si elle regarde « trop » de pornographie ? Cela peut s’avérer difficile, car il est notoirement compliqué de définir ce qui est « normal ». La fréquence, le contexte et l’impact personnel varient considérablement d’un individu à l’autre.
Comme le souligne le psychologue français Florian Vörös, la « dépendance à la pornographie » n’est pas une science exacte avec des limites fixes, mais « un concept malléable qui se développe à partir d’un melting-pot de connaissances et de croyances différentes ».
Même une consommation occasionnelle de pornographie a été associée à des changements dans la régulation du sentiment et à des attentes irréalistes en matière d’intimité.
- Une consommation fréquente peut avoir un impact sur la capacité d’attention,
- l’humeur
- et la satisfaction globale dans les relations.
Certains utilisateurs réguliers déclarent devenir insensibles aux contenus pour adultes extrêmement explicites. L’envie de consommer de la pornographie peut même s’intensifier avec le temps en raison d’une exposition répétée.
Dans le même temps, les études universitaires abordent la consommation générale de pornographie en partant du principe que celle-ci est toujours néfaste, et que ses avantages potentiels sont souvent négligés. Tous les consommateurs de pornographie ne rencontrent pas de problèmes, et certains déclarent percevoir des avantages à sa consommation, tels que la réduction du stress ou une excitation accrue.
Il arrive un moment où la consommation de pornographie devient compulsive et émotionnelle, interférant avec la vie quotidienne. C’est à ce moment-là qu’une intervention est nécessaire.
En psychologie, le changement entre « juste cliquer pour accéde au contenu » et « devoir se justifier avant d’accéder au contenu » est décrit comme le passage d’un comportement impulsif à un comportement réfléchi (voir cet article allemand de Wikipedia).
- Le comportement impulsif est motivé par des désirs ou des sentiments immédiats, souvent sans tenir compte des conséquences à long terme.
- Le comportement réfléchi consiste à faire une pause pour évaluer les options et envisager les conséquences futures avant d’agir, comme lorsque les nouvelles vérifications perturbent votre routine habituelle.
La concurrence entre les comportements impulsifs et réfléchis peut exercer une forte pression sur le cerveau. Ces deux systèmes, impulsif et réfléchi, fonctionnent souvent en opposition, en particulier lorsqu’il s’agit de comportements habituels ou chargés de sentiment, comme la consommation de pornographie. Une façon de comprendre comment certains comportements, comme la consommation compulsive de pornographie, peuvent devenir difficiles à maîtriser, est de penser à un bras de fer entre les systèmes du cerveau.
Au début d’un comportement addictif, le système impulsif commence à dominer. Le cerveau devient très sensible aux signaux (par exemple, une notification, un souvenir ou même l’ennui) qui déclenchent des envies. Au fil du temps, ces signaux et ces envies deviennent plus puissants, et le comportement s’enracine davantage.
À mesure que le comportement s’enracine, le système réflexif perd son emprise et est dominé par l’impulsion. Le comportement peut se poursuivre même lorsqu’il ne procure plus de plaisir et même lorsqu’il entraîne des conséquences négatives. Il devient davantage une habitude qu’un choix.
Des études d’imagerie cérébrale suggèrent que les personnes qui luttent contre des comportements sexuels compulsifs présentent une activité accrue dans les deux systèmes. Leur système impulsif s’active en réponse à des signaux, tandis que leur système réflexif travaille plus fort pour vouloir essayer de réguler ces impulsions. Cela suggère que le cerveau est soumis à un stress, essayant de gérer la tentation et l’impulsion, mais échouant finalement.
La recherche sur la dépendance comportementale a découvert que la capacité à supprimer le contrôle des impulsions est plus faible chez les personnes qui ont des tendances addictives plus fortes envers le cybersexe. C’est pourquoi même de petites interruptions, comme les nouveaux contrôles de vérification de l’âge, peuvent avoir une importance involontaire. Elles peuvent simplement donner à votre système réflexif une chance de rattraper son retard et de se demander :
« Est-ce que je veux vraiment regarder de la pornographie en ce moment ? »
Si ces petites interruptions inspirent une rupture complète avec la pornographie, que se passe-t-il ensuite ? Les recherches suggèrent que même une abstinence relativement courte de la pornographie peut entraîner des changements notables dans le comportement (source).
- Quelques études expérimentales ont montré des résultats tels qu’un engagement relationnel accru,
- une capacité à retarder les comportements de recherche de gratification,
- une meilleure réflexion sur les schémas comportementaux.
Pour ceux qui sentent que leur consommation devient habituelle ou émotionnelle, une pause peut offrir une sorte de réinitialisation, une chance de remarquer les déclencheurs, de réfléchir à leurs besoins et d’explorer d’autres moyens de créer des liens.
Lorsqu’ils font une pause dans leur consommation de pornographie, les utilisateurs déclarent se sentir plus présents dans leurs relations.
Vous avez l'impression que vos proches vous espionnent ou même que votre opérateur téléphonique enregistre tous vos historiques de connexion?
Certains qualifient ce type de pause de « redémarrage » de leur relation. Au fil du temps, certaines personnes qui ont « redémarré » déclarent se sentir plus présentes dans leurs relations, plus concentrées au travail et moins dépendantes de la stimulation numérique pour gérer l’ennui ou le stress.
Si vous vous inquiétez de votre consommation de pornographie, voici quelques signes qui peuvent indiquer une consommation excessive :
- vous vous sentez extrêmement irritable lorsque l’accès est bloqué,
- vous utilisez la pornographie pour gérer des sentiments difficiles ou vous avez du mal à arrêter de regarder même lorsque vous voulez.
Il ne s’agit pas de critères diagnostiques, mais d’indications subtiles qui suggèrent qu’il pourrait être utile de prendre du recul.
Si vous pensez que votre consommation de pornographie est devenue une habitude et que vous voulez vous en débarrasser, il peut être utile de tenir un journal et de noter les déclencheurs de localisation. Comprendre pourquoi et quand vous êtes plus susceptible de vous tourner vers la pornographie peut vous aider à rediriger votre comportement.
Dans le même ordre d’idées, vous fixer des objectifs précis, comme arrêter la pornographie pendant une semaine, peut vous aider à relever le défi plus facilement que si vous arrêtez pour une durée indéterminée. Si vous avez l’impression de ne plus pouvoir maîtriser ces comportements, vous devriez demander l’aide de vos pairs ou de professionnels.
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L’interdiction du porno repose sur l’hypothèse que le porno est mauvais
Mais est-ce vraiment le cas ? Tout le porno est-il mauvais, ou seulement certains types de porno ? Devrions-nous interdire complètement le porno ? Les routes, les voitures et les camions ne sont pas sans danger pour les enfants, mais nous n’interdisons pas la circulation ; nous voulons simplement essayer de la rendre plus sûre.
Platon serait probablement favorables à l’interdiction de la pornographie. Michel Foucault serait sans doute contre toute interdiction. Mais Foucault reconnaîtrait que l’interdiction et l’autorisation de la pornographie ont toutes deux une influence sur les jeunes.
Ce que Foucault expose clairement dans son histoire de la sexualité, c’est l’influence considérable de l’Église catholique sur la formation (ou la stigmatisation) de la liberté sexuelle.
- Dans les pays catholiques, le rapport sexuel est souvent tabou et n’est pas discuté en public, en famille ou au travail. Par conséquent, de nombreux hommes ont des compétences intimes sous-développées, ce qui fait que les femmes se sentent en insécurité et sexuellement insatisfaites.
- Aux Pays-Bas, qui n’a pas été touché par la stigmatisation catholique, la culture y est beaucoup plus libre en matière de sexualité.
L’intimité est l’une des formes les plus naturelles du comportement humain. Si les gouvernements collaboraient avec les sites pornographiques, ils se préoccuperaient davantage de former des personnes vertueuses que de bloquer des contenus.
Les bonobos (les animaux les plus proches des humains) utilisent le rapport sexuel non seulement pour se reproduire, mais aussi comme un outil social. Ils font l’amour pour résoudre les conflits, réduire la hiérarchie, maintenir la paix et créer des liens sociaux.
« Mon étude a fourni la première preuve solide que le comportement sexuel est un mécanisme permettant de surmonter l’agressivité. … Pour les bonobos, le rapport sexuel est indissociable du comportement social. Compte tenu de ses fonctions de pacification et d’apaisement, il n’est pas surprenant que le rapport sexuel chez les bonobos se produise dans tant de combinaisons de partenaires différentes, y compris entre les âges. Le besoin de coexistence pacifique ne se limite pas aux couples hétérosexuels adultes. » — Frans de Waal
De Waal arrive à la même conclusion que Foucault. Le sentiment de honte et le désir d’intimité domestique sont des concepts typiquement humains liés à l’évolution et au renforcement culturel de la famille.
Bien que très controversé, le psychanalyste Wilhelm Reich a soutenu dans The Mass Psychology of Fascism (1933) que la répression sexuelle produit des personnalités autoritaires. Cela peut rendre les sociétés plus militaristes. L’Autrichien pensait qu’en maîtrisant la sexualité (notamment par la religion, la famille et l’éducation), les régimes rendaient les gens plus obéissants à l’autorité. (Reich, Wilhelm. The Mass Psychology of Fascism. 1933)
Finalement, au lieu de nous contenter d’interdire et de censurer, nous devrions aussi nous concentrer sur le développement de l’esprit critique par le dialogue et l’honnêteté.
