Lucky Hank – La série se dévoile à l’Épisode 5

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Écrit par Mallory Lebel

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La série Lucky Hank me plaît depuis le début, c’est un fait. Elle me parle. Cette histoire de professeur / écrivain raté en pleine crise de la quarantaine, sans aucune méchanceté mais en pleine instrospection : quoi de plus jouissif quand on sait que celui qui incarne le rôle, c’est Bob Odenkirk, l’acteur indélébile de Better Call Saul et Breaking Bad.

Le série me plaisait, disais-je. Mais l’épisode 5 m‘a complètement mis à genoux.

L’épisode 5

La forme de l’épisode est parfaitement maîtrisée, avec le découpage d’un repas entre amis en plusieurs actes : entrée / plat / dessert / digestif etc. A chaque étape du repas son lot de révélations. Et à chaque fois, les émotions qui montent crescendo. Jusqu’au moment où on voit William Henry Devereaux Jr. (Bob) partir dans un sanglot saisissant, que je n’avais pas anticipé, et qui m’a tout d’un coup fait prendre du conscience du véritable but de la série : montrer la faille de cet individu.

Au même moment, j’ai réalisé avec les pleurs de ce personnage que je m’étais trompé depuis le début sur ce qui n’allait pas chez lui :

  1. Ce n’est pas la crise de la quarantaine
  2. Ce n’est pas sa fille aînée qui s’éloigne
  3. Ce n’est pas son boulot
  4. Ni son entourage qu’il trouve stupide
  5. Ce n’est même pas sa femme, comme on pourrait le croire à un moment donné, qui décroche un boulot à responsabilités à l’autre bout du pays alors que lui veut rester sur place

… C’est la peur de l’abandon.

La peur du vide.

La peur qu’on le quitte une fois de plus, après la fissure subie dans son enfance.

Sa femme lui propose de le suivre, mais la peur de l’abandon le prend au ventre et il perd tous ses moyens. Je me mets à sa place : l’abandon qu’il a vécu étant petit remonte à la surface. Il se voit dépossédé de sa femme comme il l’a été de son père. La peur du vide s’engouffre. Alors qu’elle lui propose de l’accompagner, il ne l’entend même pas. Il lui répond ça :

pourquoi tiens tu a me quitter

A côté de la plaque. C’est normal quand c’est le traumatisme qui parle. Qui sait ? Peut-être s’adresse-t-il à son père en lui parlant.

J’ai réalisé tout d’un coup, en le voyant pleurer devant tous ses amis et sa femme, que la série va traiter des fissures de l’enfance qu’un homme, qu’une femme, se trimballe toute sa vie sans jamais pouvoir s’en défaire. Avouez que ce n’est pas un thème courant dans les séries.

Quand on sait que les acteurs jouent magnifiquement bien (clin d’oeil à Cedric Yarbrough que je ne connaissais pas mais que j’aime beaucoup avec son humour noir au grand coeur), j’espère que cet article vous donnera envie de donner une chance à la série (sur OCS).

william henry devereaux en pleurs

Le cadre de la fête était parfait pour permettre aux réalisateurs d’exploiter le potentiel théâtral du drame de l’épisode.

Bob Odenkirk est attendu dans de telles situations, et il a magnifiquement relevé le défi. L’acteur est doté d’un sens si authentique de la compréhension des émotions humaines qu’il en devient impressionnant. Dans Breaking Bad il a fait de son personnage (petit rôle à l’origine) un élément central de la série, tout simplement grâce à son empathie, à tel point qu’on lui a donné la chance de sa vie avec Better Call Saul. Là encore, dans cette série, ce sont les émotions qui priment et qui lui font crever l’écran.

Cedric Yarbrough a livré le meilleur moment de Lucky Hank jusqu’à présent dans le rôle de Paul. L’histoire de sa rencontre avec sa femme est magnifiquement écrite, filmée et jouée, ce qui en fait un moment à savourer. Lucky Hank vient de se mettre en route. Il est temps de décoller.

Qu’est-ce que la série Lucky Hank ?

Dans le plan d’ouverture de la série Lucky Hank, la caméra s’approche de l’arrière et encercle un homme barbu d’âge moyen portant une veste en tweed, une sacoche en bandoulière sur son épaule droite. Vous l’avez deviné : C’est un professeur d’université. Il se tient seul, regardant de l’autre côté de l’étang du campus, mais surtout, regardant vers l’intérieur. Ce personnage, comme nous l’apprenons au cours du premier épisode, est William Henry Devereaux Jr. ou « Hank » , président du département d’anglais de l’université fictive de Railton.

Si Hank a de la chance, il n’en est pas convaincu. Sa carrière a été décevante, surtout si on la compare à celle de son célèbre père et homonyme : Le critique littéraire le plus éminent de sa génération, Hank père, vient d’annoncer sa retraite de l’université de Columbia, provoquant une crise de la quarantaine chez son fils.

La valse de l’empereur de Johann Strauss joue sur la brève scène de l’étang, mais si Hank est un empereur, il est Napoléon, exilé sur l’île d’Elbe et dépourvu de tout. Ce n’est pas pour rien qu’on entend la magnifique chanson des Bee Gees « I Started a Joke » dont je vous rappelle les paroles :

I started a joke, which started the whole world crying
J’ai voulu faire une plaisanterie, qui a mis en pleurs le monde entier

But I didn’t see that the joke was on me, oh no
Mais je n’ai pas compris que c’était de moi qu’on rirait

I started to cry, which started the whole world laughing
Je me suis mis à pleurer, ce qui a fait éclater de rire le monde entier

Oh, if I’d only seen that the joke was on me
Oh, si seulement j’avais compris que c’était de moi qu’on rirait

I looked at the skies, running my hands over my eyes
J’ai regardé les cieux, me passant la main sur les yeux

And I fell out of bed, hurting my head from things that I’d said
Et je suis tombé du lit, me tapant la tête à cause des choses que j’avais dites

Til I finally died, which started the whole world living
Jusqu’à ce que finalement je meure, ce qui permit au monde entier de vivre

Oh, if I’d only seen that the joke was on me
Oh, si seulement j’avais compris que c’était de moi qu’on rirait

bee gees robin gibb i started a joke live 1989
Bee Gees : Robin Gibb – I Started a Joke – live 1989 – La version de cette chanson que j’ai donnée dans le lien au-dessus (par Robin Gibb, le dernier survivant des trois frères) est probablement la meilleure en live. Je n’ai pas pu insérer la vidéo directement dans cet article, probablement en raison des droits d’auteur.

Basé sur un roman de 1997

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La série est adaptée de Straight Man, le roman humoristique de Richard Russo paru en 1997 sur les campus, dont le protagoniste se considère comme le représentant de la raison dans un monde universitaire rongé par le politiquement correct.

L’histoire ridiculise un collègue masculin de Devereaux qui, par réflexe, ajoute « ou elle » chaque fois qu’un collègue utilise « il » comme pronom non sexué, ce qui lui vaut le surnom d' »Orshee » . Il porte ses cheveux clairsemés en queue de cheval, enseigne les sitcoms au lieu des livres et ne permet pas à ses étudiants de rédiger des dissertations (ils tournent des vidéos à la place). Il est la caricature du professeur de gauche.

Dans le roman, William Henry Devereaux est dépeint comme un rempart sans état d’âme contre la bêtise universitaire et les malversations bureaucratiques. Mais dans Lucky Hank, le personnage d’Odenkirk est dépeint comme un dinosaure : un dinosaure sympathique, peut-être, mais un fossile quand même.

Beaucoup de choses se sont passées dans la culture américaine et dans le campus universitaire au cours du quart de siècle qui s’est écoulé depuis la publication de Straight Man. En cette période de partisanerie politique marquée, les campus universitaires et les salles de classe sont des scènes idéales pour mettre en scène la collision entre les anciennes et les nouvelles mœurs. C’est comme si le protagoniste du roman de Russo avait été congelé pendant des décennies et transporté à travers les genres et les années sur notre écran, et qu’il s’apercevait que les temps ont changé, alors que lui n’a pas changé. Il se décongèle en 2023 et souffre de brûlures de congélation.

Lucky Hank, dont Russo est le producteur exécutif, en est tout à fait conscient et a fait quelques mises à jour adroites du roman pour y répondre. Le premier épisode est centré sur le fait que Hank ridiculise le travail d’un étudiant en création littéraire et qu’il refuse de faire marche arrière lorsqu’on lui demande de s’excuser ; l’étudiant est dépeint comme un écrivain compétent mais suffisant qui ne demande qu’à être rabaissé d’un cran. S’il s’agissait d’une scène du roman de Russo, notre sympathie irait à Hank. Dans la série, cependant, Hank est perçu comme une brute. Les téléspectateurs reconnaissent qu’il souffre d’une sorte de syndrome de l’imposteur, provoqué par l’annonce de la retraite de son père, mais même sa femme, Lily (la lumineuse Mireille Enos), directrice adjointe du lycée, le rappelle à l’ordre pour ses bêtises.

Et Lily ne se contente pas de le rappeler à l’ordre, son engagement envers ses élèves fait honte à Hank.

  • Lorsque Hank doit supporter le prétentieux étudiant de l’atelier d’écriture, il se déconnecte mentalement et, lorsque les étudiants le rappellent, il les réprimande.
  • Lily, qui a vu un élève uriner contre un casier dans le couloir de son école et qui ne peut demander à personne de s’en occuper, achète son propre matériel de nettoyage, se met à quatre pattes et nettoie elle-même.

Lucky Hank : une comédie ou un drame ?

En passant de la page à l’écran, l’histoire a changé non seulement de support, mais aussi de genre. Straight Man est une comédie de campus, certes, mais c’est aussi une farce : Lucky Hank est une comédie dramatique, si tant est que l’on utilise encore ce terme. Je parle plutôt de drame.

La série comporte de formidables moments comiques, mais elle est fondamentalement plus sérieuse : elle traite des carrières, de la quarantaine, de la déception et de la complexité des relations amoureuses à long terme. En faisant de Lily un personnage aussi riche et complet, la série crée un contre-pied digne de ce nom pour Hank, l’aidant à relativiser ses difficultés.

Les différences entre la série et le roman

  • Le roman est raconté à la première personne : Il est très centré sur Hank.
  • La série est également centrée sur Hank, et nous entendons souvent ses pensées en voix off, mais elle le critique également et l’aide à grandir, grâce à des personnages secondaires qui sont plus que de simples caricatures.
  • Dans le roman, Lily part en voyage au bout de 60 pages et est pratiquement absente jusqu’au dernier chapitre. La Lily de Lucky Hank, en revanche, bien qu’elle soit tirée dans de nombreuses directions différentes, est un point d’ancrage dans chaque épisode, et une pierre de touche invariable pour Hank.
  • Le Hank à l’écran semble même reconnaître qu’il est hors du temps. Lorsque son doyen lui demande d’avoir une conversation sur scène avec son vieil ami et rival, l’écrivain George Saunders, Hank hésite : « Je crains de dire accidentellement quelque chose qui corresponde à ma personnalité, mais qui ne soit pas compatible avec un campus universitaire moderne » .

Lorsque Saunders (interprété par Brian Huskey) vient à Railton College pour l’événement public avec Hank, il passe également à l’atelier d’écriture de Hank.

  • Alors que Hank est tour à tour absent et caustique avec ses étudiants, Saunders est patient, généreux
  • Alors que Hank souhaiterait que Saunders remette les étudiants à leur place, son vieil ami est plus intéressé par le fait de leur faire de la place à la table du séminaire
  • Saunders semble obtenir toute la reconnaissance dont il a besoin grâce à son travail ; il n’a pas besoin de rabaisser les étudiants pour se sentir bien dans sa peau.

Lucky Hank n’est que la série la plus récente dont le protagoniste est un président de département. L’année dernière, Netflix a porté à l’écran le roman de 1985 de Don DeLillo, White Noise ; en 2021, Netflix a présenté Directrice. Dans cette série, Ji-Yoon Kim (Sandra Oh) prend le poste en question et est forcée de contrôler les dégâts lorsque son collègue Bill Dobson, tout comme Hank Devereaux, se comporte comme un professeur masculin titularisé de la génération précédente et devient l’objet de protestations sur le campus.

Le message est clair : nous assistons à un changement radical avec Ji-Yoon, première femme et premier professeur de couleur à présider le département. L’adaptation de Straight Man a réussi à illustrer la même transition au sein d’un seul personnage, à travers les années et les genres.

Les questions soulevées par la série

Les téléspectateurs regardent la série avec une question brûlante : Hank peut-il évoluer ? Le personnage de Russo peut-il entrer dans le XXIe siècle ?

Je ne suis pas là pour gâcher quoi que ce soit, mais la façon légèrement différente dont la série encadre l’histoire du roman est certainement porteuse d’espoir. Si le campus universitaire peut parfois fonctionner comme une sorte de Pays Imaginaire, les relations de Hank avec les gens en dehors de sa bulle pourraient bien lui fournir les ressources et les défis dont il a besoin pour enfin grandir.

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